Face à face
(Robert Manthoulis, 1966)

Les quelques cocasseries de mise en scène et l'attitude plus que désinvolte des deux femmes de la maison bourgeoise (la mère et la fille) n’atténuent pas la portée de ce film éminemment politique. C'est une radioscopie passionnante de la société grecque en proie aux tensions de classes (contestations massives, grèves, quartiers populaires délabrés) et à l'indifférence de ses élites économiques. En résulte une sorte de huis-clos mental hallucinatoire éprouvé par le timide et désargenté professeur d'anglais. Pour ne rien gâcher, la photo est très jolie.


Une fille nommée Lolly Madonna
(Richard C. Sarafian, 1973)

« Personne n'est sain et sauf » écrivait Ballard. C'est le sentiment que l'on a face à ce drame du Sud en forme de tragédie grecque. Sarafian est alors à son apogée, poursuivant la veine entamée avec Vanishing Point. Le cinéaste questionne le monde et les rapports humains, l'innocence de personnages jetés dans des conflits absurdes. Tout le prix de Lolly-Madonna XXX, c'est de parvenir à faire surgir l'humanité, même baffouée, au milieu de la bêtise et de l'ignorance les plus crasses. C'est peut-être un peu schématique et archétypal mais passionnant. C'est aussi l'un des derniers films de l'immense Robert Ryan.


Cinq tulipes rouges
(Jean Stelli, 1949)

Laborieuse et effarante histoire de meurtres dans le peloton du Tour de France. La caméra est anonyme, l'écriture bâclée et le scénario complètement improbable. Le "couple-vedette" est quant à lui tout aussi décevant : Jean Brochard interprète sans conviction un policier pour le moins médiocre et Suzanne Dehelly une journaliste haute en couleurs irritante à bien des égards. Routinier et sans imagination, le film est parfaitement dispensable.


Le garçon de course
(Karen Chakhnazarov, 1986)

Chronique touchante de la jeunesse russe dans les dernières années du communisme. Ici, l'idéal semble s'être envolé, les parents ne comprennent pas la nouvelle génération qui, issue des milieux prolétaires comme de l'intelligentsia, n'a pas d'autre horizon que l'Ouest (Paris est évoqué au détour d'une revue de mode, les jeunes des quartiers font du breakdance). Le jeune héros incarne la fin d'une utopie, où l'on ment aux autres autant qu'à soi-même. La mise en scène est d'une grande sensibilité, toujours avec les personnages, quels qu'ils soient. Belle découverte.


Les gangsters du château d'If
(René Pujol, 1939)

Complètement désuet et sans intérêt. Les personnages sont inconsistants (même le génial Pierre Larquey, affublé d'un ridicule accent marseillais, semble se demander ce qu'il fait là), le scénario et les gags sont poussifs, les tours de chant ridicules... seuls quelques rares dialogues malicieux parviennent à sortir le spectateur de son ennui. Et ce qui veut se faire passer pour de la fantaisie n'est en réalité qu'une succession de gimmicks puérils. Très justement oublié.


Typhoon Club
(Shinji Somai, 1985)

Un petit bijou de sensibilité, parfaitement équilibré entre un ton dramatique et quelques séquences burlesques ou lunaires. Somai est un cinéaste à la valeur inestimable, aussi singulier que génial, dont le talent se manifeste partout. Les personnages sont incarnés, jamais caricaturaux, et nous disent tous quelque chose d'un Japon contemporain momifié. L'impossible passage à l'âge adulte, l'enfance perdue pour toujours... Typhoon Club est une radioscopie naturaliste qui épouse les tourments, les doutes, l'insouciance d'adolescents symboliquement bloqués dans leur collège par les hasards de la météo. C'est juste, profond, bannissant la pédanterie. De l'intelligence sur pellicule, de l'émotion pure.


Ça commence à Vera Cruz
(Don Siegel, 1949)

Pas le film le plus abouti du pourtant excellent Don Siegel. Le charme du couple vedette et l'intrigue ramassée en 70 minutes ne suffisent pas à transcender une histoire sans grand intérêt. Les amateurs de polars urbains secs et violents seront probablement déçus par le ton par trop décontracté (fort heureusement, William Bendix amène sa présence et de la dureté). La mise en scène manque de personnalité et ce ne sont pas les quelques bourre-pifs et poursuites sur les routes mexicaines en terre battue qui changeront le constat: The Big Steal est très moyen.


La maison d'en face
(Christian-Jaque, 1937)

Certes, l'origine théâtrale (autant dans les mécaniques que dans la mise en scène) est prégnante mais la légèreté et la critique malicieuse de la bourgeoisie sont suffisamment bien tenues pour que le spectateur ne soit pas assommé d'ennui. On y aborde avec justesse mais sans ostentation l'hypocrisie des mœurs, les mirages de la célébrité, les rapports de classes, la vulgarité des parvenus. La complicité entre Elvire Popesco et André Lefaur est évidente. En somme, un film mineur mais plaisant.


Le chemin
(Ana Mariscal, 1964)

Chronique provinciale émouvante qui trouve sans cesse le juste équilibre entre un ton sinon comique au moins léger et la tragédie. Les gamins sont excellents et la critique de la religion plutôt intelligente (ce sont finalement bien plus les bigotes que le curé qui cherchent à régenter la vie des âmes). La cinéaste espagnole produit un film réaliste qui raille le monde des adultes sans se départir d'une véritable tendresse pour certains d'entre eux (parmi lesquels le fromager, le forgeron, l'instituteur). El camino est un joli film qui ne manque pas de pointer les angoisses face à la modernité.


L'affaire Mori
(Pasquale Squitieri, 1977)

Le plus intéressant dans ce film c'est évidemment le contexte historique, politique et social dans la Sicile de l'époque. La brutalité du préfet Mori, obnubilé par sa seule victoire contre la mafia, est incarnée avec conviction par Giuliano Gemma, acteur pourtant plutôt limité. On regrettera tout de même un manque de puissance dans la mise en scène (Squitieri n'est pas Rosi ou Damiani) ce qui ne manque pas d'empeser un peu le récit par moment. Claudia Cardinale est très belle mais sous-exploitée (son rôle a-t-il vraiment un intérêt ?) et la musique de Morricone inspirée.


Les tueurs fous
(Boris Szulzinger, 1972)

Un objet incompréhensible aux tenants et aboutissants nébuleux (comme le fait divers dont il s'inspire). C'est laid, parfaitement sordide et d'un intérêt social, psychologique et artistique limité pour ne pas dire inexistant. Il y a beaucoup de complaisance malsaine (le premier meurtre) dans cette odyssée aussi glaciale que gratuite. Seule la courte scène de l'enterrement du chat permet d'entrevoir un semblant d'humanité. Détestable, pas tant par ce qu'il montre que dans la manière de le filmer.


Meurtre à bord
(Joseph M. Newman, 1953)

Un petit film à suspense bien ficelé qui exploite pleinement les possibilités offertes par son environnement (la quasi totalité du récit se déroule sur un paquebot). L'intrigue est aussi bien tenue que ramassée, les éléments susceptibles d'aiguiller le spectateur distillés avec un sens incontestable du rythme. La photo est jolie et les acteurs suffisamment bons pour que cette histoire de paranoïa soit considérée comme un agréable moment de cinéma. Newman est décidément un artisan des plus estimables.


L'histoire d'une femme
(Mikio Naruse, 1963)

La quintessence de la "manière" Naruse ! C'est donc terriblement beau et poignant. La sublime Hideko Takamine compose une femme que la vie et la patrie ont peu à peu consumée et en fait une des nombreuses héroïnes inoubliables des films du cinéaste. De manière étonnante, le récit n'est pas linéaire et plusieurs flashbacks parfaitement intégrés à l'ensemble permettent de prendre la mesure des tragédies vécues par la femme et la belle-mère. La mise en scène, aussi précise que pudique (les annonces successives à travers une lettre ou un coup de téléphone), capte la dignité des personnages féminins avec une aisance sans pareille. On notera la beauté du rôle interprété par Tatsuya Nakadai. L'histoire d'une femme n'est rien de moins qu'un chef-d'œuvre, un de plus dans l'imposante filmographie du maître.


Le propriétaire
(Hal Ashby, 1970)

Le premier film d'Hal Ashby contient déjà en substance tout son cinéma: des personnages déphasés en butte à l'autorité (qu'elle soit morale, politique ou familiale), une Amérique tourmentée et une histoire tout en rupture de tons. The Landlord est une chronique douce-amère qui aborde frontalement la question du racisme à l'intérieur même des différentes communautés. C'est aussi le portrait d'un pays que le Vietnam (sans évocation directe autre que le mot "napalm") a lentement fissuré, notamment entre les générations. La mise en scène retranscrit admirablement l'ironie grinçante du propos et, si l'on peut regretter quelques effets de montages parfois un peu racoleurs, l'ensemble est vraiment très bon et les acteurs tous excellents (mention spéciale à Lee Grant qui campe une mère de famille bourgeoise aussi drôle que pathétique). Tout à fait emblématique du Nouvel Hollywood.


Among the Living
(Stuart Heisler, 1941)

On louera avant tout la facture visuelle de l'ensemble et la belle réflexion finale sur le lynchage et la peine de mort. Il n'en demeure pas moins que ce film au budget très restreint pèche avant tout par un scénario auquel les auteurs ne prennent même pas la peine de croire et des acteurs assez médiocres (seule la jeune et très mignonne Susan Hayward tire son épingle du jeu). Among the Living est tombé dans un oubli justifié.