La Desna enchantée
(Ioulia Solntseva, 1964)

Ce poème sur pellicule est un hommage de la cinéaste à son défunt mari, Dovjenko, qui en avait signé le scénario autobiographique. On y retrouve les thématiques chères à l'auteur, l'amour de la terre d'Ukraine, la petite paysannerie portraiturée avec chaleur, le folklore... Le film est émouvant, drôle et parfois tragique ; il est surtout d'une esthétique remarquable (les plans dans les champs de tournesols et la séquence de l'inondation entre autres). Il faut se laisser porter par ces images pour en apprécier totalement le lyrisme.


La fessée
(Pierre Caron, 1937)

L'inventivité de l'introduction laisse entrevoir un film plein de vitalité et de malice. C'est dans une certaine mesure le cas, d'autant qu'Albert Préjean, Marguerite Moréno et Claude Dauphin amènent une plus-value certaine. Les dialogues sont souvent percutants même si on peut regretter une caricature excessive des milieux aristocratiques. L'abattage et l'aisance des comédiens parviennent à masquer tant que faire se peut l'origine théâtrale de ce petit vaudeville qui ne parvient hélas pas à convaincre sur la durée.


L'exploit d'un éclaireur
(Boris Barnet, 1947)

Film d'espionnage assez complexe et dense dans sa narration, mais intéressant. Il est plus problématique en revanche dans sa mise en scène, excessivement statique. Si bien que malgré la beauté de certains plans (le rendez-vous au bord du fleuve, la virée en voiture), le spectateur frôle l'ennui à plusieurs reprises. Son parti-pris anti-spectaculaire et réaliste est cependant à saluer. D'autant que la propagande pro-soviétique s'y fait, sinon absente, au moins discrète.


Le train bondé
(Kon Ichikawa, 1957)

Critique saisissante du culte du travail et de la réussite au sein de la société japonaise, Le train bondé est une œuvre acerbe où l'humour laisse souvent place à la triste et cruelle réalité. L'évolution du personnage principal, jeune diplômé idéaliste qui se persuade que l'envie est le seul moteur de la réussite, au sein d'un pays surpeuplé d'actifs est d'une terrible acuité. Il n'y a pas de place pour les relations amoureuses, on loge de minuscules studios dotés d'un placard et d'un futon, l'indifférence est cultivée... Ichikawa émeut aussi, au détour de quelques scènes intimistes (avec les parents notamment ou cette histoire d'amour qui arrive trop tard). D'une grande justesse.


Lui et moi
(Ko Nakahira, 1961)

Passionnante dissection d’un Japon en pleine mutation dans laquelle le cinéaste s’attaque au choc des générations et à l’éclatement de la structure familiale, à la frivolité qui s’empare des classes bourgeoises, à l’esprit protestataire qui gagne du terrain aussi bien à l’université que dans la rue ou bien encore à la révolution des mœurs. Si le film paraît parfois partir dans tous les sens (profusion des sujets, ton alternant le comique et le dramatique), il en ressort cependant une formidable unité. Les couleurs sont superbes et la composition des plans très élaborée. Et pour ne rien gâcher, la jeune Izumi Ashikawa est délicieuse. Excellent !


Passions juvéniles (Ko Nakahira, 1956)

Finalement, ce ne sont pas vraiment les rapports entre les deux frères qui intéressent Nakahira dans ce premier film assez réussi. On prend la mesure du caractère sociologique de Passions juvéniles lors d'un échange entre les jeunes oisifs, sans idéal et incapables de prendre leur vie en main, rejetant la faute sur la génération précédente, forcément coupable. La narration est bien tenue et la mise en scène rigoureuse, jusqu'à ce final inattendu, d'une violence inouïe.


Les hommes, quels mufles !
(Mario Camerini, 1932)

Bluette aussi charmante qu'inoffensive. C'est un cinéma conventionnel au possible, avec des situations archétypales et des personnages parfaitement codifiés : une jeune fille timide, un jeune homme maladroit, une suite de quiproquos, un amour naissant et contrarié, pour finir par la promesse d'un mariage et la bénédiction du paternel, homme du peuple compréhensif. De Sica est excellent et le film plutôt alerte.


La dame de Musashino
(Kenji Mizoguchi, 1951)

La beauté de ce film le rend immédiatement assimilable à la série de chefs-d'œuvre que le cinéaste réalisera peu après. Peut-être pas formellement mais la sourde mélancolie qui se développe à mesure que les enjeux dramatiques se font plus intenses est elle, typiquement mizoguchienne. C'est aussi un regard passionnant et lucide sur la fin des velléités impériales du Japon et leurs conséquences sur la société nippone. Loin d'être anecdotique au regard des rapports entre les personnages, la référence à Stendhal vient mettre en lumière certains comportements. Les dernières minutes, signant la disparition programmée du domaine de Musashino, sont poignantes.


Marie-Martine
(Albert Valentin, 1942)

Traitement lénifiant, histoire guère passionnante, niaiserie du personnage incarné par Blier, Jules Berry dans un énième rôle de salaud, Renée Saint-Cyr peu crédible dans le rôle de la femme dont tout le monde s'éprend... c'est peu dire que Marie-Martine a bien du mal à capter l'attention du spectateur. Heureusement, une séquence vient le sortir de sa torpeur : celle de l'oncle avec un immense Saturnin Fabre, génial d'anarchisme fatigué et mélancolique.


Le voyage d'Amélie
(Daniel Duval, 1974)

Avec trois francs six sous, Daniel Duval réalise un road-movie étrange et morbide, un film saisissant sur la marginalité où cinq laissés pour compte vivant de minables combines sont embauchés par une petite vieille désargentée pour convoyer le cercueil de son défunt mari. Le réalisme gris, la photo dégueulasse et la réalisation artisanale peuvent rebuter mais il faut bien reconnaître une certaine force désabusée qui touche le spectateur. Un instantané sans fard de la France des années 70 aussi intéressant que bancal.


Les truands
(Carlo Rim, 1956)

Le début du film laisse entrevoir une comédie malicieuse et gentiment corrosive. Une promesse d’autant plus alléchante que la distribution est de qualité (Yves Robert en tête, excellent dans son double-rôle). Mais le résultat est hélas inégal. Certains passages sont très bien écrits avec des dialogues savoureux, d’autres, plus faibles (notamment la dernière partie avec Eddie Constantine), donnent en revanche le sentiment d’un récit qui traîne en longueur.

Marathon d'automne
(Gueorgui Danielia, 1979)

Bienveillance. C'est le mot qui caractérise le mieux ce très joli film dans lequel Danielia se garde bien de juger. Il y a une sincérité particulièrement émouvante, admirablement portée par des comédiens fabuleux d'humanité. La mise en scène du cinéaste sait capter la douleur d'une femme trompée, les faux espoirs d'une maîtresse esseulée, le dilemme insoluble d'un homme écartelé. C'est en somme l'histoire d'une lâcheté quotidienne qui culmine lors d'une séquence finale parmi les plus poignantes sur la question de l'adultère et de l'indécision. La délicate musique d'Andreï Petrov accompagne idéalement cette comédie triste telle qu'annoncée lors du générique. Une incontestable réussite.


On devient tous fous
(Seijun Suzuki, 1960)

Portrait furieux d'une jeunesse nippone qui perd les pédales. A la fois héritière et orpheline, elle est bloquée dans un pays qui n'a pas pansé les plaies de la défaite en 45 ni jamais véritablement accepté le joug américain. Suzuki filme à l'épaule, déplore l'impossible compréhension entre deux générations, attaque de front la presse à sensation, la frivolité et la violence du monde contemporain. La réalisation nerveuse, rythmée par une bande originale jazzy tout à fait adaptée, s'inspire explicitement de la Nouvelle Vague. On en sort rincé mais enthousiasmé.


Quatre pas dans les nuages
(Alessandro Blasetti, 1942)

Bien que minimisant son rôle dans la réussite complète qu'est ce film, Blasetti touche par l'élégance de sa mise en scène (en témoigne la scène finale, bouleversante de simplicité) parfaitement adaptée à l'écriture de Zavattini (entre autres). D'une apparente légèreté au début (bien que teintée d'amertume), Quatre pas... s'achemine doucement vers un drame modeste, plein de droiture et d'empathie. Parenthèse hors du temps, la "visite" de Gino Cervi chez cette famille campagnarde attachée aux traditions contient tous les tourments auxquels un homme avide d'amour et de liberté peut être confronté. Les acteurs sont excellents et incarnent, chacun à leur manière, un peu de l'Italie contemporaine. Magnifique.


Milady et les mousquetaires
(Vittorio Cottafavi, 1952)

Surprenante et très agréable adaptation. En prenant le contre-pied des récits habituellement tirés du célèbre roman, Cottafavi se concentre sur la seconde partie et sur le personnage de Milady. Cela confère au film une dimension tragique soutenue d'autant que la réalisation accompagne avec ce qu'il faut de dynamisme les différentes péripéties. La succession effrénée de coups de théâtre est un hommage au génie feuilletonesque de Dumas. Les acteurs ne sont pas formidables mais qu'importe, l'intérêt est ailleurs.