Colegas
(Eloy de la Iglesia, 1982)

Film exemplairement quinqi, Colegas nous plonge dans la sinistre existence d'une jeunesse madrilène de laissés pour compte, coincés entre drogue, chômage, avortement clandestin et délinquance, tournant le dos à la génération précédente. La dureté du scénario et des images, qui ne nous épargnent rien ou presque en matière de sordide, expriment le regard désenchanté du cinéaste sur la société espagnole qui panse encore les plaies du franquisme. Eprouvant mais un jalon important dans la filmographie d'Eloy de la Iglesia.


Attention, automobile
(Eldar Riazanov, 1966)

Grinçante comédie sur les dérives et l'avidité de l'aristocratie soviétique. L'introduction, avec sa voix-off, sa superbe photographie et ses mystères, fait penser à un polar. Puis le film prend un ton plus léger mais pas moins critique avant une conclusion bienveillante (à la fois pour le héros et la société). La verve des auteurs n'empêche pas Attention, automobile d'être très abouti d'un point de vue formel. Plaisir et cocasserie aussi de voir, le temps d'une représentation théâtrale, le grand Innokenti Smoktounovski réinterpréter Hamlet. 


Jofroi
(Marcel Pagnol, 1934)

Deuxième réalisation de Pagnol, Jofroi est déjà un film de son auteur autant qu'une adaptation de Giono. L'authenticité y est partout prégnante: le charme et la beauté des décors provençaux, la malice et la drôlerie des dialogues, la bonhommie et la truculence des acteurs (formidables Scotto et Poupon)... tout cela condensé en moins d'une heure ! De cette vertigineuse réussite, de ce réalisme pétri d'humanité, de cette inaltérable simplicité, on ressort enthousiasmé. 


Double destinée
(Roberto Gavaldon, 1946)

Un film social et sociétal particulièrement intéressant qui, pour faire passer sa vision pessimiste du Mexique des années 40, se mue en film noir et en mélodrame. Double destinée met en scène deux sœurs jumelles que tout oppose : une riche arriviste, une pauvre effacée. Au-delà de ce canevas classique, c'est un portrait de femmes particulièrement cruel qui est dressé. Dans son double-rôle, Dolores del Rio est parfois un peu caricaturale mais la qualité de la mise en scène compense largement ce constat.


La parte del león
(Adolfo Aristarain, 1978)

Film noir convaincant, La parte del león se distingue par l'âpreté de sa mise en scène et un sentiment d'étouffement qui en impose dès les premières minutes. Au-delà de l'argument narratif (un homme divorcé et alcoolique s'empare du butin de malfaiteurs), c'est la société argentine dans son ensemble qui est pointée du doigt par Aristarain et ce à une époque où Videla était aux affaires. On n'est donc pas surpris que le film soit plongé les trois quarts du temps dans l'obscurité. Courageux et saisissant.


Les joyeux fantômes
(Antonio Pietrangeli, 1961)

Une fantaisie amusante et pleine de charme qui doit beaucoup à ses excellents comédiens et à la très élégante photographie du grand Giuseppe Rotunno. Sur un ton léger et délicieusement ironique, le film en dit finalement beaucoup plus sur la spéculation immobilière et le cancer que sont les promoteurs qu'un film de Rosi. On regrette cependant son côté répétitif qui enlève un peu de magie à l'ensemble (et ce malgré l'apparition d'un Gassman particulièrement en verve).


Thé et sympathie
(Vincente Minnelli, 1956)

Ne tournons pas autour du pot, cette adaptation de la pièce de Robert Anderson (crédité au scénario) est un film bouleversant d'humanité. Deborah et John Kerr, déjà créateurs des rôles au théâtre, sont les merveilleux interprètes de cette ode à la différence et à la sensibilité. Si le film de Minnelli maintient davantage l'ambiguïté quant à l'homosexualité du héros, son intérêt (et sa force) vient surtout du fait que jamais les personnages, même les plus « outrageusement américains », ne sont jugés. La mise en scène est à l'avenant, c'est-à-dire d'une suprême délicatesse. Un grand film assurément.


J'attends
(Koreyoshi Kurahara, 1957)

Une imagerie résolument empruntée au film noir mais J'attends est en réalité un mélodrame déchirant sur deux âmes perdues et la rencontre de ces deux solitudes. Pour son premier film, Kurahara fait déjà preuve d'un sens esthétique et d'une maîtrise de la narration remarquables. Les deux acteurs principaux sont très bons, en particulier le talentueux Yujiro Ishihara, déjà excellent dans Passions juvéniles l'année précédente. Un exemple supplémentaire de l'extraordinaire profondeur du cinéma nippon.


Quei due
(Gennaro Righelli, 1935)

La mise en scène est académique mais l'abattage des frères De Filippo est délectable et le charme d'Assia Noris indéniable. Si c'est parfois poussif et par certains aspects plutôt vieillot, il faut souligner que deux ou trois séquences sont irrésistibles de drôlerie (l'invitation chez le psychopathe, le suicide avorté...). Fascisme oblige, tout cela est bien inoffensif. A noter pour l'anecdote, l'apparition de la jeune Anna Magnani.


L'emprise
(John Cromwell, 1934)

La liberté de ton de la période pré-Code Hays touche à sa fin mais permet encore d'adapter Somerset Maugham. Seulement, Of Human Bondage, réalisaton appliquée mais sans génie, est un film qui ne convainc que très épisodiquement. Si Leslie Howard traine sa mine de chien battu, Bette Davis elle, pleine d'amoralité et de laideur anticipant ses grands rôles chez Aldrich, trouve là l'un des rôles les plus marquants de son début de carrière.


Tout pour réussir
(John Boorman, 1990)

Fable très poussive sur les dérives du capitalisme, Where the Heart Is est peut-être ce que Boorman (également scénariste), en dépit d'intentions louables et d'un certain sens esthétique (les fresques), a réalisé de moins convaincant. Tout paraît emprunté, la critique est grossière, les ressorts comiques sont éculés, Christopher Plummer cabotine outrageusement... Un argument, et non des moindres, est cependant à mettre au crédit du film : Uma Thurman, alors à peine âgée de 20 ans, est sublime.


Robert et Robert
(Claude Lelouch, 1978)

Lelouch signe ici un film juste et sensible sur la misère affective, la solitude et l'amitié. Il y a beaucoup de tendresse et d'ironie, un humour pince-sans-rire délectable et un attachement très noble aux personnages. Il faut dire que Charles Denner et Jacques Villeret sont formidables en cœurs esseulés, paralysés par leurs manies ou leur timidité. Seule ombre au tableau, cette auto-satisfaction permanente chez le cinéaste qui peut finir par irriter.


La crise est finie
(Robert Siodmak, 1934)

Léger et pétillant sont les deux mots qui viennent à l'esprit en voyant ce film tout à la gloire des artistes et chansonniers. En à peine 75 minutes menées tambour battant, Siodmak nous embarque au sein d'une troupe sans le sou qui essaie de monter sa revue. Il faut justement souligner la vitalité de la mise en scène et du montage qui, comme en témoigne la séquence finale, dit beaucoup sur l'originalité du cinéma français d'alors. Albert Préjean est enthousiasmant ; quant à la toute jeune Danielle Darrieux, elle est déjà merveilleuse de charme. Vivifiant.


La jeune fille à l'écho
(Arunas Zebriunas, 1964)

La stupéfiante réussite que constituait La belle était déjà en gestation dans ce film à la discrète sophistication. Pas d'intrigue sinon celle d'une jeune fille qui passe sa dernière journée de vacances au bord de la mer chez son grand-père, sa rencontre avec la bande du coin et un garçon renfermé. La talent de Zebriunas est de capter des instants de vie, la joie, les doutes, la déception et surtout, chose audacieuse en URSS, la liberté. Un moment de grâce qui, 60 ans plus tard, semble inaltérable.


Rosaura à dix heures
(Mario Soffici, 1958)

Filmé comme un polar, ce drame de l'impuissance masculine est intéressant à plus d'un titre. Par son mode narratif d'abord, puisqu'il emploie avec une certaine modernité (et sans que cela paraisse gratuit) plusieurs points de vue (la propriétaire, l'artiste, Rosaura). Par sa maîtrise technique ensuite grâce à l'élégance de sa mise en scène et la façon dont le cinéaste instaure le sentiment d'étouffement vécu par le personnage principal. En auscultant la société argentine au sein de la pension qui sert de théâtre à l'intrigue enfin. Solide et prenant.